Dogga poussa un juron guttural quand elle posa le pied sur une pierre instable. Le caillou, plus gros que son poing, rebondissait bruyamment derrière elle dans la pente raide du sentier. Le front bas, reprenant d’un pas lourd mais assuré, elle écoutait mourir l’écho des chocs intermittents en contrebas. Ils lui rappelèrent la longue distance parcourue depuis la cascade au pied du massif rocheux. Le vif chant de l’eau l’aurait réconforté, mais elle ne percevait plus que les hurlements d’un vent glaçant qui l’assaillait désormais de toutes parts.
La bise augmentait considérablement à mesure de son ascension, et ses vêtements de cuir ne la protégeaient plus du froid. Intérieurement, elle maudissait l’interdiction posée par le Viss, son maître, de choisir une tenue plus confortable. Un peu plus de fourrure, un manteau, des gants, cela n’aurait rien eu d’ostentatoire ! Toutefois, se plaindre était un-pis aller : Dogga savait très bien pourquoi le sage lui imposait tant de rigueur.
Quand il se mit à neiger, la jeune femme murmura une imprécation rauque pour raviver sa flamme intérieure. Sa tête allait lui tourner de longs instants mais sa peau bleuie retrouverait bientôt une teinte rassurante. Un éclair fugace embrasa littéralement son regard. Et tandis qu’elle forçait le pas en direction de l’immense cavité à flanc de montagne, les flocons de neige se muaient en volutes vaporeuses à instant même où ils tombaient dans ses empreintes brûlantes, ainsi que sur elle.
***
La silhouette de la jeune fille fut accueillie dans la caverne par des dizaines de colonnes de la taille d’un enfant. Bras tendu au-dessus de sa tête, elle tenait une pierre creuse où brûlait un brin de genévrier dans une flaque de graisse prise à un renne. La lampe projetait les ombres des stalagmites tout autour de Dogga, comme les rayons d’un astre dont elle était le centre. A mesure qu’elle progressait lentement sur le sol ruisselant, irrégulier et en pente, les ombres alentour semblaient s’écarter avec déférence.
Dogga dut se pencher très bas pour franchir un long boyau naturel. Toute la difficulté était de tenir le brûloir sans le faire trembler. Un courant d’air chaud souffla en manquant d’éteindre la flamme vacillante. Elle s’arrêta assez longtemps pour qu’il cessât, et enfin déboucha sur un espace suffisamment vaste et sombre pour lui laisser croire qu’elle était sortie à l’air libre en pleine nuit. La cavité était si grande que Dogga ne pouvait en discerner les parois, et encore moins les centaines de glyphes tracés à même leur surface. Ceux-ci émirent progressivement une clarté verte, donnant à la voûte l’apparence irréelle du ciel étoilé d’un autre monde.
Le périple de l’apprentie dura encore de longs instants entre terre, vent et eau. Dogga déboucha sur une caverne au plafond bas, traversée de colonnes naturelles et de puits insondables. Ces derniers émettaient des bouffées d’air alternativement brûlantes et glaciales. Étrangement, cela ne perturbait en rien la surface de la large étendue qui émettait la même lumière que les glyphes. Au centre de l’étendue, assis en tailleur sur trois pierres en équilibre vertical, Vakasteinn le Sage semblait léviter sur l’eau. Son âge assez avancé contrastait avec sa chevelure couleur de feu, ses traits déterminés et la musculature d’un corps façonné par les éléments.
« Sage, les chasseurs ont accepté de participer à ta quête. Les pisteurs suivront, pas contre, les guerriers du clan sont plus réticents car ils craignent les attaques de ravageurs sur le village...
- Tempérance, équilibre, harmonie. Ce sont les trois clés de la maîtrise.
…Mais mon père est parvenu à rallier Starkr en lui parlant des trésors. Peut-être que cela les fera changer d’avis.
- Mon frère, ton père, a toujours été un sage. La Viss Uglagata aurait dû pouvoir nous enseigner la Voie des Pierres à tous deux… »
Dogga se mordit la lèvre inférieure pour ne pas montrer son impatience. Au marché de Stadsbjorn, les tours et détours de son maître l’auraient rendu riche comme acrobate et ruiné comme amuseur public.
« Sage, tu es sûr que cette expédition est indispensable ? Je veux dire… notre camp sera mal protégé, et...
- Si nous laissons les morts envahir les bois sacrés, tu n’auras plus de crainte à avoir pour ta famille, Dogga.
- Comment est-ce qu’on peut lutter contre des morts qui marchent ? En leur jetant des lampes à huile et en soufflant dessus ? »
Dogga méritait bien son sobriquet : son père l’avait forcée à entrer en apprentissage auprès du Viss Vakasteinn, elle qui voulait suivre la voie du chasseur… et elle avait toujours affiché son désaccord, ce qui lui avait valu le surnom de « mauvaise herbe ».
Vakastein rit franchement. Depuis les longs mois à venir tous les jours pour lui apporter sa nourriture et l’écouter longuement tergiverser, c’était la première fois.
« Nous allons employer le Souffle du Miograor.
- Mais... m’avez toujours dit de conserver la force de Miogaror pour « maintenir l’équilibre ».
- C’est vrai, et nous allons justement réduire à néant les forces de mort qui sont à l’œuvre à Felstad.»
L’homme décroisa ses jambes pour poser un pied sur une petite colonne de pierres plates qui venait de monter du fond du lac. Il avança un pied devant l’autre à mesure que d’autres empilements se formaient devant lui.
Réponses
296 pts sur 2020 - 300pts sur 2019
Instagram du Kirou
Moi aussi je te kiffe L_Ancien